Paris tient une place à part dans l’histoire de la photographie, et plus généralement dans celle des arts visuels. C’est en effet dans la capitale qu’a été prise la première photo d’un être humain (1838), et là encore qu’eut lieu la première séance publique de cinéma (1895). Entre ces deux dates fondatrices, un jeune photographe marqua lui aussi l’histoire en prenant la première photo d’une barricade.
La révolution de 1848
En février 1848, la troisième – et dernière – révolution française met fin à la monarchie. Le roi Louis-Philippe abdique, et la deuxième République est proclamée le 24 février. Mais Paris reste une capitale turbulente, profondément marquée par les inégalités croissantes engendrées par la révolution industrielle. En juin 1848, une nouvelle révolte ouvrière éclate à la suite de la décision prise par le gouvernement de fermer les Ateliers nationaux, organisation d’État qui devait fournir du travail aux chômeurs.
Le Faubourg-du-Temple, où se côtoient ouvriers, paysans venus chercher fortune dans les nouvelles industries et travailleurs étrangers, est l’un des bastions de cette révolte. Des dizaines de barricades seront placées dans le quartier, dont celles que nous pouvons apercevoir sur la photo, la première située au croisement de la rue Saint-Maur, la deuxième vers le croisement de la rue Bichat. Ces « Journées de Juin » (22 au 26 juin 1848) furent très sévèrement réprimées, la jeune République n’hésitant pas à tirer sur ses opposants. Parmi les milliers de morts (6.000 environ), une centaine étaient des habitants du Faubourg-du-Temple.
C’est un instantané de ces évènements que nous propose ce cliché, d’une valeur historique exceptionnelle, et dont nous connaissons aujourd’hui l’histoire complète grâce au travail remarquable du sociologue de l’histoire Olivier Ilh (La Barricade renversée, histoire d’une photographie, Paris 1848, Editions du Croquant, 2016).
La première photo d’une barricade insurrectionnelle
Cette photo a été prise par un photographe du nom de Charles-François Thibault le matin du dimanche 25 juin 1848 au niveau du n° 92 de la rue du Faubourg-du-Temple actuelle. L’insurrection touche à sa fin, et seules résistent les dernières défenses des quartiers ouvriers de l’est parisien.
Thibault utilisa deux fois, probablement entre 7 heures et 8 heures du matin, son daguerréotype, procédé primitif de la photographie qui fixait l’image sur une plaque métallique. Ces deux clichés sont visibles dans les musées parisiens, le premier au musée Carnavalet, le second (image à la Une) au musée d’Orsay. On y distingue notamment un drapeau planté dans l’essieu d’une roue sur la première barricade (qui selon les recherches d’Olivier Ilh portait l’inscription « République démocratique et sociale ») ainsi que des silhouettes de dos.
Ce sont les premiers clichés montrant une insurrection et des barricades complètes. Cette scène est également considérée comme la première illustration photographique d’un reportage dans les journaux, puisqu’elle fut publiée quelques jours plus tard sous forme de gravure (on ne savait pas reproduire à l’époque directement le daguerréotype dans un document imprimé) dans le journal l’Illustration, avec la légende « La barricade de la rue Saint-Maur Popincourt le dimanche matin, d’après une planche daguerréotypée par M.Thibault ».
Le 26 juin, au lever du jour, les troupes du général Lamoricière donnérent l’assaut final. Thibault immortalisa également ce moment. La révolte était finie.