C’est l’une des oeuvres françaises les plus célèbres, et pourtant son histoire, ainsi que ses représentations, restent méconnues. Peut-être parce qu’aucun autre tableau n’a réussi à transcender les époques et s’affranchir de la seule expression artistique comme l’a fait la Liberté guidant le peuple. Plus qu’une oeuvre, elle est devenue un symbole, que se sont appropriés à tour de rôle les évènements de l’histoire de France.
Tableau révolutionnaire par excellence, sa réalisation est – à tort – souvent associée à 1789. C’est pourtant 42 ans plus tard, en 1831, que Delacroix présenta son oeuvre. Si la Révolution était encore bien présente dans les têtes, l’Empire Napoléonien et le rétablissement de la monarchie avaient depuis longtemps brisé les rêves de République. Avant que n’éclate en juillet 1830 une nouvelle révolution, qui incita Delacroix à peindre ce tableau.
Il s’agit donc dans cette oeuvre, à l’origine, de la révolution de Juillet 1830, appelée également Trois Glorieuses. Une révolution parfois oubliée – peut-être parce qu’elle n’a duré « que » trois jours – mais qui eut un impact très fort. À défaut de rétablir la république, elle mit fin au règne des Bourbons (initié par Henri IV en 1589) et par la même occasion à la monarchie absolue.
Après Charles X, c’est un cousin, Louis-Philippe 1er, qui monta sur le trône avec le titre de roi des Français.
L’oeuvre de toutes les révolutions
Quelques mois après l’évènement, en décembre 1830, Delacroix débute son oeuvre. Il plonge le spectateur au coeur d’une révolte populaire, où femmes et hommes de toutes origines sociales prennent d’assaut une barricade. Les rayons du soleil couchant mêlés à la fumée des canons mettent en valeur une figure allégorique de la Liberté qui brandit le drapeau tricolore. Un détail qui donne d’ailleurs une indication sur l’époque, puisque si ce drapeau a bien été créé par la Révolution, c’est Louis-Philippe 1er qui le rétablit en 1830 et en généralisa l’utilisation patriotique.
« J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n’ai pas vaincu pour la patrie au moins peindrais-je pour elle » écrivait Delacroix à son frère en 1830. Célébrant cette nouvelle révolution, l’artiste proposa une allégorie si puissante et originale que celle-ci a fini par s’imposer dans l’imaginaire collectif comme la représentation même de la Liberté, bien au-delà des seuls évènements de juillet 1830. C’est ainsi que ce symbole fut repris plus tard pour illustrer la révolution de 1789, et même récupéré lors de la révolution de 1848, qui mit fin à la monarchie en France. L’oeuvre de toutes les révolutions !
Détails et anecdotes
Au centre de l’oeuvre, l’allégorie de la liberté est une femme avançant les seins nus, un bonnet phrygien sur la tête, un fusil à baïonnette et le drapeau français dans les mains. Cette Marianne n’a pas tant choqué en 1831 par sa symbolique guerrière ou son torse dénudé, mais plutôt à cause de… ses poils sous les bras ! Un détail considéré vulgaire par les critiques de l’époque, qui ne juraient que par des allégories de la Victoire lisse et sans défaut, à l’image des représentations antiques.
À ses côtés se trouve un gamin des faubourgs. Personnage qui a inspiré plus tard Victor Hugo pour son Gavroche dans les Misérables. Vous remarquerez également derrière le gamin les tours de Notre-Dame de Paris, redevenue au 19e siècle un symbole parisien majeur. C’est en effet en 1831 que fut publié, en même temps qu’était dévoilé ce tableau, le célèbre ouvrage de Victor Hugo !
Achetée par Louis-Philippe en 1831, l’oeuvre, jugée trop révolutionnaire, fut rapidement retirée du musée Royal, situé alors au palais du Luxembourg. Elle n’entra au musée du Louvre qu’en 1874.
Elle est aujourd’hui Universelle.